La Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT) alerte sur le risque d’abus/dépendance avec la gabapentine et la prégabaline.

Vous trouverez ci dessous l’alerte de la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT) devant l’augmentation de l’utilisation inappropriée et de l’abus/mésusage de la gabapentine et prégabaline au regard de leur balance bénéfices/risques1

 https://doi.org/10.1111/add.15970

Les gabapentinoïdes (gabapentine, Neurontin®, et prégabaline, Lyrica®) sont indiqués dans l’épilepsie et la douleur d’origine neurologique dite neuropathique. La prégabaline est également indiqué dans le trouble anxieux généralisé. Leur utilisation est en très forte augmentation, en particulier dans la douleur, et dépasse de loin la prévalence de ces troubles, faisant craindre qu’ils soient utilisés hors AMM, dans des indications où leur bénéfices n’est pas démontré1,2.
Les gabapentinoïdes ont été promus dans la prise en charge de la douleur, notamment en peropératoire, dans un contexte marqué par une volonté de moins recourir aux analgésiques opioïdes (opiacés ou morphiniques). Contrairement à ce qui est attendu, une étude observationnelle récente a montré que les patients consommaient davantage d’opioïdes suite à l’initiation de prégabaline3. En pratique, les gabapentinoïdes sont souvent associés à d’autres psychotropes sédatifs tels que les opioïdes ou les benzodiazépines, ce qui augmente le risque d’effets indésirables4. Une augmentation des épisodes de détresse respiratoire et/ou de décès, en particulier en association avec des opioïdes, a d’ailleurs été observée dans de nombreux pays5.
Alors que les gabapentinoïdes ont initialement été promus en raison d’un risque d’abus prétendument faible, leur potentiel d’abus/mésusage et de dépendance est désormais avéré et bien réel4,5. En France, l’abus de prégabaline est un phénomène relativement récent, apparu au début des années 2010, et en très forte augmentation ces dernières années6,7.

L’avis de la SFPT

Devant toute initiation ou renouvellement d’un traitement par gabapentine ou prégabaline, la SFPT souhaite rappelle la nécessité d’évaluer la balance bénéfice/risque compte tenu des bénéfices modestes en particulier dans la prise en charge de la douleur et des risques avérés.

  • Les associations médicamenteuses, en particulier avec des médicaments sédatifs et notamment avec les opioïdes, doivent faire l’objet d’une vigilance particulière.
  • Pour toute question ou signalement d’effet indésirable en lien avec cette problématique, vous pouvez contacter votre Centre régional de pharmacovigilance.

Pour toute question ou signalement d’abus ou de trouble de l’usage et/ou leurs complications, vous pouvez contacter votre Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance – Addictovigilance.

Pour approfondir

Que sont les gabapentinoïdes ?

Les gabapentinoïdes, dérivés structurels du GABA sans action directe sur les cibles pharmacologiques du GABA, modifient l’activité des canaux calciques voltage-dépendants présynaptique du système nerveux central. Le blocage de ces canaux inhibe l’entrée de calcium dans les neurones et la libération secondaire de neurotransmetteurs (dont le glutamate). Ils diminuent ainsi l’excitabilité des neurones.

La prégabaline et la gabapentine présentent un mécanisme d’action similaire. Elles se distinguent par leurs propriétés pharmacocinétiques :

  • une absorption plus rapide par voie orale de la prégabaline (concentrations plasmatiques maximales atteintes en 1 heure, contre 3 à 4 heures avec la gabapentine) ;
  • une absorption linéaire de la prégabaline (augmentation des concentrations plasmatiques proportionnelle à la dose administrée, contre une absorption non linéaire et un effet plateau avec la gabapentine).

Sur le plan théorique, ces propriétés sont en faveur d’un potentiel d’abus supérieur de la prégabaline par rapport à celui de la gabapentine. Sur le plan pratique, ce potentiel d’abus est probablement un effet de classe des gabapentinoïdes. En France, le premier cas d’abus de gabapentine avait été rapporté dès 20078.
Quels sont les preuves d’efficacité des gabapentinoïdes dans la douleur ?
D’après les revues systématiques disponibles dans la base Cochrane portant sur les essais cliniques randomisés comparatifs évaluant la gabapentine9 et la prégabaline10 :

  • • La gabapentine peut être considérée efficace dans la névralgie post-herpétique et la neuropathie diabétique périphérique. Les preuves pour d’autres types de douleurs neuropathiques sont limitées. De 3 à 4 participants sur 10 ont obtenu une réduction d’au moins 50 % de l’intensité des douleurs avec la gabapentine, par rapport à 1 à 2 participants sur 10 avec le placebo. Plus de la moitié des patients traités avec la gabapentine n’obtiennent pas un soulagement suffisant des douleurs et peuvent présenter des événements indésirables.
  • • La prégabaline peut être considérée efficace dans la névralgie post-zostérienne, la névralgie diabétique et la douleur neuropathique post-traumatique mixte ou non classée, mais n’est pas efficace dans la neuropathie liée au VIH. Les données sur l’efficacité dans la douleur neuropathique centrale sont insuffisantes. Beaucoup de patients ne tireront aucun bénéfice de la prégabaline ou cesseront le traitement.

Quels sont les risques ?

Comme beaucoup d’autres médicaments faisant l’objet d’un mésusage/abus, notamment les opioïdes, les gabapentinoïdes sont des médicaments psychoactifs sédatifs. Bien que les essais cliniques sur les gabapentinoïdes n’ont pas été conçus pour évaluer leur potentiel d’abus, une méta analyse a retrouvé que l’euphorie était le 2ème effet indésirable le plus fortement associé à la prégabaline11.
Alors qu’en France l’abus et le mésusage de la prégabaline dépassent de loin ceux de la gabapentine, les pharmacologues du réseau français d’addictovigilance alertaient dès 2019 sur le risque de report vers la gabapentine. En effet, les nouvelles recommandations de la SFETD de 2020 pour la prise en charge de la douleur neuropathique12 et le renforcement des conditions de prescription et délivrance de la prégabaline à compter du 24 mai 2021 pourraient favoriser l’utilisation de la gabapentine. Actuellement, la gabapentine est environ 3 fois moins utilisée que la prégabaline (données Open Medic 2021). À l’inverse, la gabapentine fait également l’objet d’un abus important, en particulier dans les pays ou son utilisation est plus fréquente.
Des études précliniques suggèrent que les gabapentinoïdes peuvent majorer la dépression respiratoire induite par les opioïdes en levant le phénomène de tolérance13. Plusieurs études observationnelles en population générale ont montré que l’association des gabapentinoïdes et des opioïdes augmente le risque de décès par surdose opioïdes14,15.
Plus récemment, une étude a montré que l’utilisation de la gabapentine dans la douleur en peropératoire augmentait les risques de délire, de nouvelle utilisation d’antipsychotiques, et de pneumonie16.




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